Découvrez la fable Discours À Madame de La Sablière de Jean de La Fontaine tirée du recueil Fables de La Fontaine en eBook gratuit, ePub, pdf, vidéo et écoute audio. Retrouvez cette œuvre parue au 17ème siècle, illustrant le courant du Classicisme, en lecture libre, texte et image à télécharger du fabuliste.
Auteur | Jean de La Fontaine |
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Recueil | Fables de La Fontaine |
Genre | Fable |
Courant | Classicisme |
Siècle de parution | 17ème siècle |
La vidéo
Le texte
Discours À Madame de La Sablière
IRis, je vous louerais ; il n’est que trop aisé ;
Mais vous avez cent fois notre encens refusé ;
En cela peu semblable au reste des mortelles
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles.
Pas une ne s’endort à ce bruit si flatteur.
Je ne les blâme point, je souffre cette humeur ;
Elle est commune aux Dieux, aux Monarques, aux belles.
Ce breuvage vanté par le peuple rimeur,
Le Nectar que l’on sert au maître du Tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les Dieux de la terre,
C’est la louange, Iris ; Vous ne la goûtez point ;
D’autres propos chez vous recompensent ce point ;
Propos, agréables commerces,
Où le hasard fournit cent matières diverses :
Jusque-là qu’en votre entretien
La bagatelle à part : le monde n’en croit rien.
Laissons le monde, et sa croyance :
La bagatelle, la science,
Les chimères, le rien, tout est bon : Je soutiens
Qu’il faut de tout aux entretiens :
C’est un parterre, ou Flore épand ses biens ;
Sur différentes fleurs l’Abeille s’y repose,
Et fait du miel de toute chose.
Ce fondement posé ne trouvez pas mauvais,
Qu’en ces Fables aussi j’entremêle des traits
De certaine Philosophie
Subtile, engageante, et hardie.
On l’appelle nouvelle. En avez-vous ou non
Ouï parler ? Ils disent donc
Que la bête est une machine ;
Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps.
Telle est la montre qui chemine,
À pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.
Ouvrez-la, lisez dans son sein ;
Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde.
La première y meut la seconde,
Une troisième suit, elle sonne à la fin.
Au dire de ces gens, la bête est toute telle :
L’objet la frappe en un endroit ;
Ce lieu frappé s’en va tout droit
Selon nous au voisin en porter la nouvelle ;
Le sens de proche en proche aussitôt la reçoit.
L’impression se fait, mais comment se fait-elle ?
Selon eux par nécessité,
Sans passion, sans volonté :
L’animal se sent agité
De mouvements que le vulgaire appelle
Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle,
Ou quelque autre de ces états ;
Mais ce n’est point cela ; ne vous y trompez pas.
Qu’est-ce donc ? une montre ; et nous ? c’est autre chose.
Voici de la façon que Descartes l’expose ;
Descartes ce mortel dont on eût fait un Dieu
Chez les Païens, et qui tient le milieu
Entre l’homme et l’esprit, comme entre l’huître et l’homme
Le tient tel de nos gens, franche bête de somme.
Voici, dis-je, comment raisonne cet Auteur.
Sur tous les animaux enfants du Créateur,
J’ai le don de penser, et je sais que je pense.
Or vous savez Iris de certaine science,
Que quand la bête penserait,
La Bête ne réfléchirait
Sur l’objet ni sur sa pensée.
Descartes va plus loin, et soutient nettement,
Qu’elle ne pense nullement.
Vous n’êtes point embarrassée
De le croire, ni moi. Cependant quand aux bois
Le bruit des cors, celui des voix,
N’a donné nul relâche à la fuyante proie,
Qu’en vain elle a mis ses efforts
À confondre, et brouiller la voie.
L’animal chargé d’ans, vieux Cerf, et de dix cors,
En suppose un plus jeune, et l’oblige par force,
À présenter aux chiens une nouvelle amorce.
Que de raisonnements pour conserver ses jours !
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le change, et cent stratagèmes
Dignes des plus grands chefs, dignes d’un meilleur sort !
On le déchire après sa mort ;
Ce sont tous ses honneurs suprêmes.
Quand la Perdrix
Voit ses petits
En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas ;
Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile,
Attirant le Chasseur, et le Chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille,
Et puis, quand le Chasseur croit que son Chien la pille ;
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l’homme, qui confus des yeux en vain la suit.
Non loin du Nord il est un monde,
Où l’on sait que les habitants,
Vivent ainsi qu’aux premiers temps
Dans une ignorance profonde :
Je parle des humains ; car quant aux animaux,
Ils y construisent des travaux,
Qui des torrents grossis arrêtent le ravage,
Et font communiquer l’un et l’autre rivage.
L’édifice résiste, et dure en son entier ;
Après un lit de bois, est un lit de mortier :
Chaque Castor agit ; commune en est la tâche ;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche.
Maint maître d’œuvre y court, et tient haut le bâton.
La république de Platon,
Ne serait rien que l’apprentie
De cette famille amphibie.
Ils savent en hiver élever leurs maisons,
Passent les étangs sur des ponts,
Fruit de leur art, savant ouvrage ;
Et nos pareils ont beau le voir,
Jusqu’à présent tout leur savoir,
Est de passer l’onde à la nage.
Que ces Castors ne soient qu’un corps vide d’esprit,
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire :
Mais voici beaucoup plus : écoutez ce récit,
Que je tiens d’un Roi plein de gloire.
Le défenseur du Nord vous sera mon garant :
Je vais citer un Prince aimé de la victoire :
Son nom seul est un mur à l’empire Ottoman ;
C’est le Roi Polonais, jamais un Roi ne ment.
Il dit donc que sur sa frontière
Des animaux entre eux ont guerre de tout temps :
Le sang qui se transmet des pères aux enfants,
En renouvelle la matière.
Ces animaux, dit-il, sont germains du Renard.
Jamais la guerre avec tant d’art
Ne s’est faite parmi les hommes,
Non pas même au siècle où nous sommes.
Corps de garde avancé, vedettes, espions,
Embuscades, partis, et mille inventions
D’une pernicieuse, et maudite science,
Fille du Styx, et mère des héros,
Exercent de ces animaux
Le bon sens, et l’expérience.
Pour chanter leurs combats, l’Achéron nous devrait
Rendre Homère. Ah s’il le rendait,
Et qu’il rendît aussi le rival d’Epicure !
Que dirait ce dernier sur ces exemples-ci ?
Ce que j’ai déjà dit, qu’aux bêtes la nature
Peut par les seuls ressorts opérer tout ceci ;
Que la mémoire est corporelle,
Et que pour en venir aux exemples divers,
Que j’ai mis en jour dans ces vers,
L’animal n’a besoin que d’elle.
L’objet lorsqu’il revient, va dans son magasin
Chercher par le même chemin
L’image auparavant tracée,
Qui sur les mêmes pas revient pareillement,
Sans le secours de la pensée,
Causer un même événement.
Nous agissons tout autrement.
La volonté nous détermine,
Non l’objet, ni l’instinct. Je parle, je chemine ;
Je sens en moi certain agent ;
Tout obéit dans ma machine
À ce principe intelligent.
Il est distinct du corps, se conçoit nettement,
Se conçoit mieux que le corps même :
De tous nos mouvements c’est l’arbitre suprême.
Mais comment le corps l’entend-il ?
C’est là le point : je vois l’outil
Obéir à la main : mais la main qui la guide ?
Eh ! qui guide les Cieux, et leur course rapide ?
Quelque Ange est attaché peut-être à ces grands corps.
Un esprit vit en nous, et meut tous nos ressorts :
L’impression se fait ; Le moyen, je l’ignore.
On ne l’apprend qu’au sein de la Divinité ;
Et, s’il faut en parler avec sincérité,
Descartes l’ignorait encore.
Nous et lui là-dessus nous sommes tous égaux.
Ce que je sais Iris, c’est qu’en ces animaux
Dont je viens de citer l’exemple,
Cet esprit n’agit pas, l’homme seul est son temple.
Aussi faut-il donner à l’animal un point,
Que la plante après tout n’a point.
Cependant la plante respire :
Mais que répondra-t-on à ce que je vais dire ?
Les deux Rats, le Renard, et l’Œuf.
DEux Rats cherchaient leur vie, ils trouvèrent un Œuf.
Le dîné suffisait à gens de cette espèce ;
Il n’était pas besoin qu’ils trouvassent un Bœuf.
Pleins d’appétit, et d’allégresse,
Ils allaient de leur œuf manger chacun sa part ;
Quand un Quidam parut. C’était maître Renard ;
Rencontre incommode et fâcheuse.
Car comment sauver l’œuf ? Le bien empaqueter,
Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner,
C’était chose impossible autant que hasardeuse.
Nécessité l’ingénieuse
Leur fournit une invention.
Comme ils pouvaient gagner leur habitation,
L’écornifleur étant à demi quart de lieue ;
L’un se mit sur le dos, prit l’œuf entre ses bras,
Puis malgré quelques heurts, et quelques mauvais pas,
L’autre le traîna par la queue.
Qu’on m’aille soutenir après un tel récit,
Que les bêtes n’ont point d’esprit.
Pour moi, si j’en étais le maître,
Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfants.
Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?
Quelqu’un peut donc penser ne se pouvant connaître.
Par un exemple tout égal,
J’attribuerais à l’animal,
Non point une raison selon notre manière :
Mais beaucoup plus aussi qu’un aveugle ressort :
Je subtiliserais un morceau de matière,
Que l’on ne pourrait plus concevoir sans effort,
Quintessence d’atome, extrait de la lumière,
Je ne sais quoi plus vif, et plus mobile encor
Que le feu : car enfin, si le bois fait la flamme,
La flamme en s’épurant peut-elle pas de l’âme
Nous donner quelque idée, et sort-il pas de l’or
Des entrailles du plomb ? Je rendrais mon ouvrage
Capable de sentir, juger, rien davantage,
Et juger imparfaitement,
Sans qu’un Singe jamais fit le moindre argument.
À l’égard de nous autres hommes,
Je ferais notre lot infiniment plus fort :
Nous aurions un double trésor ;
L’un cette âme pareille en tout-tant que nous sommes,
Sages, fous, enfants, idiots,
Hôtes de l’univers sous le nom d’animaux ;
L’autre encore une autre âme, entre nous et les Anges
Commune en un certain degré ;
Et ce trésor à part créé
Suivrait parmi les airs les célestes phalanges,
Entrerait dans un point sans en être pressé,
Ne finirait jamais quoi qu’ayant commencé,
Choses réelles quoiqu’étranges.
Tant que l’enfance durerait,
Cette fille du Ciel en nous ne paraîtrait
Qu’une tendre et faible lumière ;
L’organe étant plus fort, la raison percerait
Les ténèbres de la matière,
Qui toujours envelopperait
L’autre âme imparfaite et grossière.
Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine